Ameslay a donné le 24 novembre un premier zoom sur quelques résultats des élections locales à Bgayet. Nous prolongeons cette étude sur l’ensemble de la Kabylie après avoir exposé durant la campagne à travers six radioscopies électorales les profils et les stratégies des différents compétiteurs.
Généralement, les pronostics avancés ont été, sans grandes surprises, confirmés. Les citoyens sont dubitatifs devant la gestion d’un quotidien déjà miné par une inflation qui se fait de plus en plus mordante sur le pouvoir d’achat et les moyens dérisoires dont disposent les municipalités qui survivent entre promesses non tenues et incapacités à faire face au minimum des doléances des populations.
Dans la wilaya de Tizi Ouzou, les deux partis bien implantés dans la région (FFS et RCD) ont globalement stabilisé leur score avec un léger avantage au premier qui, de façon inattendue, enregistre même une petite augmentation de voix par rapport à son concurrent pour l’APW. On sait, en effet, qu’un scandale concernant une facture de près de 15 milliards de frais de bouche et autres commodités a éclaté sans pour autant affecter le potentiel électoral du FFS. Une des raisons qui a pu empêcher cette information d’obérer le score de ce parti est, probablement, le fait que la nouvelle, étant sortie quelques jours seulement avant le vote, n’a pas causé les dommages qu’elle pouvait normalement provoquer.
En tout état de cause, les résultats définitifs donnent sur les APC : FFS 21 (plus 3), RCD 19 (score invariable) ; APW : FFS 20 (plus 3), RCD 14 (moins 2).
Les partis officiels du pouvoir ont connu des reflux relatifs à l’instar du RND en dépit du forcing politique et financier exercé par Ouyahia lui-même ou par l’entremise d’Ould Ali délégué comme supplétif sur le terrain bien avant le début de la campagne.
Au final, la manne financière versée dans les villages n’a pas eu l’effet escompté. Au village des Ait Menguellat ( daira d’Ain El Hamman) par exemple, et jusqu’à mercredi soir, veille du scrutin, des agents passaient dans les quartiers pour distribuer des enveloppes de 5000 à 15000 dinars aux familles les plus influentes pour les inciter à orienter leur vote et ceux de leurs proches au profit du parti d’Ahmed Ouyahia.
Pourquoi cette contre-performance, malgré les moyens mis en œuvre ? La détestation d’Ouyahia en Kabylie est plus forte que toutes ses offrandes. Seule vraie consolation pour le quadruple premier ministre : il a pu enfin arracher la commune de son village d’origine avec lequel Matoub Lounas avait compati dans l’une de ses plus célèbres compositions pour le soulager de la culpabilité d’avoir donné naissance au plus zélé des Kabyles de service que la chantre appelait agujl b-bwawal ( l’ orphelin de parole (d’honneur)).
Par contre, ses instructions pour ne pas dire injonctions, émises auprès de certaines notabilités (opérateurs économiques compris) pour venir en aide à des candidats masqués ( à peine ) du pouvoir ont pu donner des résultats dans quelques communes. C’est le cas à Tizi Ouzou où l’omerta promise sur la gestion calamiteuse du foncier et la dilapidation des subventions sociales d’Ait Menguellat ont grandement contribué à mobiliser des niches clientélistes du pouvoir, longtemps effrayées par l’ampleur des scandales et dont les premiers effets se sont exprimés par le retrait de confiance d’une grande partie de l’exécutif communal dont plusieurs membres ont tenu à présenter leur propre liste contre leur ancien président, qui a fait allégeance à Ouyahia, afin de se démarquer de sa gestion.
Mais sur cette commune, le vote du 23 novembre n’a rien réglé. L’APC de Tizi Ouzou qui est fait une institution honteuse du RND restera suspendue au devenir des procédures lancées contre Ait Mengeullet, notamment si Ouyahia devait, pour une raison ou une autre, être à nouveau congédié.
En ce qui concerne les autres formations satellites du pouvoir, essentiellement celles que nous avons définies sous la formule « la bande des quatre » ( PT, MPA,TAJ, AL MOUSTAQBEL ), elles, n’ont pas pu survivre. Réduites à ramasser les miettes des deuxième et troisième cercles des clientèles du pouvoir, elles n’ont pas pu trouver matière à siphonner dans une région où leurs deux partis tuteurs sont eux-mêmes en très grandes difficultés malgré les moyens logistiques et financiers dont ils ont disposé.
Sur la partie berbérophone de Boumerdès, on peut noter la percée du RCD qui a enlevé l’APC d’Afir avec une majorité absolue. A Naciria, ce parti n’a perdu l’APC que de quelques dizaines de voix. Le net rajeunissement des candidatures n’est pas étranger à cet élan.
A Bouira, les fluctuations sont mineures malgré les influences du vote des militaires des nombreuses casernes implantées dans la partie kabylophone de la wilaya. Le FFS a obtenu des résultats en régression (70 élus dont 7 a l’APW en 2012 à 66 élus dont 6 à l’APW en 2017). Le RCD qui a perdu deux APC a néanmoins augmenté son nombre d’élus passant de 44 à 56 dont cinq élus APW.
Sur la partie nord de la wilaya de Setif, les choses évoluent timidement. Le FLN traditionnellement puissant y est en recul. Le FFS a obtenu trois APC contre cinq lors du précédent mandat. Le RCD fait son entrée dans cette contrée avec la conquête de l’APC de la commune de Boussellam et un ballotage défavorable de 2 voix dans la commune Ath Noual Mzada. Son nombre total d’élus à l’échelle de la wilaya passe de 10 à16.
Dernier constat général de ce scrutin sur la Kabylie et qui renseigne sur l’inflexion négative des conduites électorales collectives, entamant du même coup le capital démocratique induit par avril 80 qui avait amené le citoyen à déterminer son choix sur le programme politique du parti et la crédibilité morale des candidats : le tribalisme y revient avec des manifestations de suivisme de plus en plus évidentes. Plus grave, à Larbaa Nat Iraten, c’est le FLN, à l’origine de l’assassinat d’Abane, qui emporte la mise dans la terre qui a vu naitre le maitre d’œuvre de la Soummam.
Fondamentalement, ce scrutin donne à lire un premier message : faute de perspectives claires, la Kabylie politique vit dans une espèce de statu quo triste et lourd où l’opinion hésite entre attente d’une évolution majeure dont personne ne semble pouvoir anticiper les origines possibles et une forme de repli sur des archaïsmes largement encouragés par les instances officielles comme les relais occultes du système.
Akli Rahmoune.