Dans une longue réplique publiée par le soir d’Algérie, grâce à l’intercession de l’ex colonel du DRS Chafik Mesbah, Taleb Ahmed Ibrahimi, fils de Bachir Ibrahimi, ancien dirigeant des Oulémas, répond au dernier livre de Belaid Abdeslam « Chroniques inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain » publié en 2017.
Dans cet ouvrage, Belaid Abdeslam estime qu’en dehors de Larbi Tebessi, figure singulière parmi les Oulémas de par une rationalité qui en a irrité plus d’un parmi ses pairs, ce courant politique a été un frein et « un viol des consciences » de la jeunesse algérienne aliénée aujourd’hui encore par des postures et principes conservateurs sinon archaïques. Belaid Abdeslam n’hésite pas à rattacher le dogmatisme qui a dégénéré en furie barbare aux discours sous terrains des Oulémas dont les responsables actuels ne renient rien de leurs objectifs théocratiques.
Tout au long de sa réponse, Taleb Ahmed aligne une succession de dates où il narre les idées et les propositions défendues par son père en faveur de l’émancipation algérienne.
Sans vouloir prendre partie dans cette polémique, force est de relever que, dans son style lénifiant, cette fois encore, Taleb Ahmed ne se départit pas de la fâcheuse tendance à refaire l’Histoire selon les goûts du jour.
Dans le long panégyrique dédié à son père, on ne retrouve pas une seule citation qui serait fausse. Le problème est que cette chronique est aveuglée par des omissions qui ne manqueront pas de jeter un sérieux discrédit sur le sens général de son intervention. Des déclarations des Oulemas, dont certaines sont directement imputables à son géniteur, qui en appellent à l’assimilation française sont légion. La position des Oulémas est pourtant suffisamment connue pour ne pas être confondue avec le radicalisme du PPA/MTLD comme il s’essaie à le faire en creux. Rien de cette politique des compromis ( d’autres nationalistes ont parlé de compromissions) qui a fondé la philosophie, au point d’en être l’identité originelle, des Oulémas ne suinte chez Taleb Ahmed. Intellectuellement cela fait tache.
Mais il y a plus pernicieux chez l’ancien ministre de Boumediene. Il n’hésite pas à citer à de nombreuses reprises Abane Ramdane qui a eu l’insigne mérite de fédérer les énergies autochtones ( dont les Oulémas ) pour affronter l’hydre colonial ; initiative qui a connu son apogée à la Soummam en Aout 1956, dont la plate forme constitue le moment fondateur de l’Algérie moderne. Pas un seul mot n’est consacré à cet événement ni aux décisions qui y ont été prises. Et pour cause, dans la méthode envisagée comme dans les objectifs assignés au combat libérateur, les thèses oulémistes furent toutes disqualifiées.
Sur un autre registre, tous les témoignages concordent pour dire que Bachir Ibrahimi a quitté le Caire non pas pour protester contre l’immixtion des moukhabarates dans le cours de la révolution algérienne, comme le suggère aujourd’hui le fils, mais parce que pour le cheikh, le régime égyptien d’obédience communiste allait polluer l’âme islamique du peuple dont il s’estimait être l’un des dépositaires. La nuance est de taille. D’ailleurs, quand Bachir Ibrahimi est revenu dans la capitale égyptienne, la volonté d’emprise des Egyptiens sur le combat algérien était encore plus manifeste.
Enfin, Taleb Ahmed assure que son père a œuvré par la culture et l’éducation pour sauver l’âme, les origines historiques c’est à dire la personnalité algérienne. Dans ce texte de plusieurs pages, le terme amazigh ne figure nulle part.
Qui peut ignorer que cette irresponsable pour ne pas dire criminelle amputation est et demeure le centre de gravité de la crise algérienne ?
Dans cet échange, force est d’admettre que, comme le dirait le truculent dirigeant français Jean Luc Mélenchon, « Abdeslam a le point. »
Il reste quelque chose de commun aux deux hommes qu’opposent l’analyse et leur parcours respectif dans le mouvement national : leur vénération sans borne pour Boumédiene. L’homme qui a fait tout déraper. Et, politiquement, cela est peut être plus intéressant à approfondir que toute autre considération.
Malik Souali