Natif d’Adeni, dans la commune d’Irdjen, daïra de Larbaâ Nath Iraten (wilaya de Tizi-Ouzou), Si Amar ou Saïd Boulifa y aurait vu le jour vers 1861 – en 1865, selon d’autres sources – au sein d’une famille maraboutique de modeste condition.
Pris en charge, après le décès de son père, par son oncle maternel – de la puissante famille de notables caïdaux de Tamazirt, les Ameur –, le petit Saïd connaît dès lors une vie privilégiée puisqu’il est scolarisé dans l’une des toutes premières écoles ouvertes en Grande-Kabylie en 1875. Bien que très jeune, l’enfant saisit cette chance pour devenir l’un des plus brillants élèves de toute la région. Choisissant de devenir instituteur, il voit en ce métier l’occasion d’apporter aux enfants indigènes éducation et savoir pour les sortir du marasme et de l’indigence dans lesquels le colonialisme veut à tout prix les maintenir.
Occupant d’abord la fonction de moniteur-adjoint à Tamazirt, il devient instituteur-adjoint en 1896 après un stage effectué à l’Ecole normale de Bouzaréah, école où il était devenu, quelques années auparavant – en 1890 –, répétiteur de berbère.
En 1901, il accède au poste d’enseignant à la Faculté de lettres d’Alger. Retraité en 1929, Saïd Boulifa a eu une carrière foisonnante, tant par la qualité de l’enseignement prodigué à des générations entières d’étudiants que par les travaux de recherches publiés et qui constituent, aujourd’hui, un fonds documentaire précieux pour tous les chercheurs en langue berbère.
Révolutionnant l’enseignement du berbère, Saïd Boulifa a, en effet, élaboré la première véritable méthode, fondée sur les « principes de la pédagogie directe des langues » car avant qu’il ne propose ses travaux, on ne disposait que de grammaires descriptives à vocation pédagogique restreinte.
Boulifa s’est, par ailleurs, beaucoup intéressé à la littérature et à l’histoire de sa région natale. Cependant, il est beaucoup critiqué par ses pairs, notamment par André Basset, spécialiste des langues berbères et enseignant à la faculté d’Alger entre 1925 et 1928 qui, pourtant, finit par lui reconnaître tout le mérite de son travail. Jean Déjeux a, également, porté un jugement sévère sur la monographie de Boulifa : « Djurdjura à travers les siècles » jugée quelque peu partiale car la glorification nationale kabyle y est à l’excès. Néanmoins, l’ouvrage de Boulifa a eu le mérite de contrebalancer les ouvrages des universitaires français de l’époque qui mettaient en avant l’idéologie et les thèmes coloniaux.
Décédé le 8 juin 1931 à l’hôpital Mustapha Pacha et inhumé à Alger, Saïd Boulifa a légué à la postérité une œuvre scientifique remarquable, surtout des ouvrages consacrés à sa langue maternelle parmi lesquels « Une première année de langue kabyle (dialecte Zouaoua) » (Alger 1897), « Méthode de langue kabyle (cours de deuxième année) », (Alger 1913), « Recueil de poésies kabyles, Texte Zouaoua traduit, annoté et précédé d’une étude sur la femme kabyle et d’une notice sur le chant kabyle (airs de musique) » (Alger 1904), « L’Inscription d’Ifigha », (in Revue archéologique juillet-décembre 1909), « Le Djurdjura à travers l’histoire depuis l’Antiquité jusqu’en 1830 : organisation et indépendance des Zouaoua (Grande Kabylie) », (Alger 1925), « Mémoire sur l’enseignement des indigènes de l’Algérie », (in Bulletin de l’enseignement des indigènes, Alger, Jourdan, 1897)… etc
Aujourd’hui, près de 90 ans après sa disparition, ses travaux restent plus que jamais une référence pour les pédagogues, linguistes et chercheurs en langue berbère.
Kahina A.