Parler de MATOUB Lounes, sa vie et son œuvre c’est parler de la poésie, de la musique et de la chanson Kabyles. C’est parler du combat pour l’identité, la culture et la langue Amaziγ mais aussi du combat pour la démocratie et les droits de l’homme menés pacifiquement par des générations de militants, mais surtout c’est parler de la chanson engagée Kabyle comme élément incontournable sinon essentiel dans la prise de conscience de l’identité Amaziγ et de la formation de cette conscience chez la jeunesse Kabyle en particulier et nord-africaine en général.
C’est aussi parler de l’apport des hommes et des femmes de cultures Amaziγ à la civilisation et la culture humaine. Ces hommes et ces femmes que nous ne devons pas sacrifier sur l’autel de l’oubli. Notre génération doit les honorer et les célébrer, car un homme ne sera vraiment mort que lorsqu’on aurait cessé de parler de lui.
Lounès MATOUB est né le 24 janvier 1956 à Taourirt Moussa Wamar, un village de la commune d’ Aït Mahmoud d’Ath Douala dans la wilaya de Tizi Ouzou. Scolarisé dés 1961 à l’école de son village, collége de Beni Douala, lycée de Bordj Menaïel puis stage de mécanique générale et d’ajustage à Alger, Lounes n’a jamais était très portée sur ses études classiques mais cela ne l’a pas empêché de lire en parallèle beaucoup d’auteurs, de se cultiver et de s’instruire solidement. Les meilleurs souvenirs d’écoles qu’il a gardé sont ceux des pères blancs dont l’enseignement, disait-il, lui a ouvert l’esprit et lui a appris les principes élémentaires de la République, la démocratie et la laïcité. Il découvre aussi l’histoire antique de l’Algérie Amazigh, Massinissa, Jugurta, Kahina et la résistance des Amaziγ contre les envahisseurs. La lecture d’auteurs mondiaux comme Zola, Hugo, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Camus et autres ou le théâtre de Racine et la poésie de Baudelaire et Vian et aussi les philosophes Descartes, Marx, Bakounine lui ont permis de se forger intellectuellement.
Durant son service militaire 1975-1977 à Oran pour oublier son dur quotidien il se réfugie dans la poésie, l’écriture et la composition de chansons. Il disait: « C’était pour moi une façon d’échapper à tout ce qui m’entourait, à la mesquinerie ambiante et à l’étroitesse d’esprit de ceux qui nous commandaient ».
MATOUB n’a jamais étudié la musique ni l’harmonie. Il disait » j’ai acquis cette oreille musicale en écoutant les anciens, en assistant aux veillées funèbres, là où les chants sont absolument superbes, de véritables chœurs liturgiques ». Dés sa sorti du service national, muni de ses poèmes et de ses notions rudimentaires en musique, il se lance dans la chanson. En 1978, il arrive à Paris ou il rencontre Slimane AZEM, HNIFA et IDIR qui l’ont beaucoup marqué et surtout aidé.
Cette année 1978, MATOUB enregistra deux cassettes « AY IZEM » (07 chansons) puis « DAƩWESSU » (06 chansons); le succès et la consécration étaient immédiats. En 1979, il enregistra quatre cassettes « RUḤ AY AKCIC » (10 chansons), « YEKKES-AS i ZNAD UCEKKAL » (06 chansons), « A LḤIE YURAN » (07 chansons) et « AYAḤLILI » (05 chansons). En 1980, une cassette « A TTWALIΓ » (08 chansons). En 20 ans de carrière il a enregistré 28 albums dont 06 en double volumes.
En Avril 1980, MATOUB Lounes donne son premier récital à la salle Olympia de Paris « JSK ». Ce concert le contraint à suivre les événements de loin et ne pas être parmi les manifestants à Tizi Ouzou. Il raconte : « Lorsque je suis entré sur la scène de l’Olympia, la guitare à la main, je portais un treillis militaire, une tenue de combat. Geste de solidarité envers la Kabylie, que j’estimais en guerre».
Le 9 octobre 1988, en route vers Ain El Hammam avec deux étudiants pour distribuer des tracts appelant la population à une grève générale de deux journées et au calme à la suite des manifestations du 08 Octobre 1988, à un barrage, un gendarme lui tire 5 balles presque à bout portant. D’hôpital en hôpital puis transféré en France le 29 mars 1989, en dix-huit mois d’hospitalisation il a subi quatorze opérations chirurgicales.
Le 29 juin 1994, lors de la marche organisée à Alger pour exiger la vérité sur les circonstances de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, il se trouvait aux côtés de Saïd Sadi quand une bombe explose au niveau de l’hôpital Mustapha faisant deux morts et plusieurs blessés.
Le 25 septembre 1994, aux environs de 21 heures, il est enlevé par un groupe islamiste armé qui le surprend dans un café-bar prés de chez lui et sera libéré le 10 octobre aux environs de 20 heures dans un café à Ait Yenni grâce à la mobilisation de la population.
En 1995, Lounès MATOUB (en collaboration avec Véronique Taveau), écrit « Rebelle », Éditions Stock. Il disait « Cet ouvrage est la somme de toutes les souffrances passées. Mon rapt, puis ma libération grâce à la mobilisation de la population a été le déclic qui a déclenché le besoin d’écrire. C’était un moment important dans ma vie. Quand j’ai été blessé, la population a été pour moi d’un grand réconfort psychologique. Par contre le dernier épisode a été très fort, très douloureux. 15 nuits de séquestration c’est 15 morts consécutives. J’en garde encore des séquelles. C’est ce qui m’a motivé pour écrire ce livre. L’écrit reste comme un témoignage impérissable du péril islamiste auquel certains osent trouver des circonstances atténuantes et vont même jusqu’à le soutenir. »
LE 06 décembre 1994 à Paris, il reçoit à l’université de la Sorbonne « Le Prix de la Mémoire » de la « Fondation France Libertés« , remis par sa Présidente, Mme Danielle Mitterrand et ou il prononça un discourt mémorial. Le 22 mars 1995, l’organisation des journalistes canadiens SCIJ lui décerne le « Prix de la Liberté d’Expression » et le 19 décembre 1995 il reçoit le « Prix Tahar DJAOUT » de La Fondation Nourredine ABBA.
En 1997 Lounés rencontrera Nadia qui deviendra sa troisième femme après Djamila et Saadia. Avec elle, il retrouve la flemme et le gout de vivre et immortalise son amour, la femme ses droits et son combat par de belles chansons dont « Nezga nsutur » et surtout celle provocatrice « Yehwa-am » ou il disait:
« Ʃemdeγ-am, smeḥeγ-am
Tewid-d i tij i temγriw, yahwa-am
terzit ifaden i lεwam, ayen nniḍen d ceγliw »
Le 25 juin 1998, en rentrant chez lui, en compagnie de sa femme et ses belles sœurs, Lounès MATOUB fut assassiné par un groupe armé à Thala Bounane commune d’Ait Aissi, qui l’assaillirent en tirant sur son véhicule plusieurs balles. Il a fait son choix, « Moi j’ai fait un choix. Tahar DJAOUT avait dit : « il y a la famille qui avance et la famille qui recule ». J’ai investi mon combat aux côtés de celle qui avance. Je sais que je vais mourir. Dans un, deux mois, je ne sais pas. Si on m’assassine, qu’on me couvre du drapeau national et que les démocrates m’enterrent dans mon village natal Taourirt Moussa. Ce jour-là, j’entrerai définitivement dans l’éternité. »
MATOUB a mêlé sa vie a celle de se ses concitoyens, à celle de son pays et a décidé de vivre les événements de l’intérieur. Il resta persuadé que s’il n’a pas les pieds et l’esprit profondément ancrés dans sa société et ses traditions surtout orales il risque d’aller à contre courant de ses aspirations et de son combat. Son honneur était de tout donner de tout distribuer à ses frères. Sur cela CAMUS disait: « La vraie générosité vers l’avenir est de tout donner au présent ». MATOUB a tout donné de son présent jusqu’au don suprême.
L’œuvre Matoubiénne est multidimensionnelle, elle englobe à la fois l’engagement identitaire, la modernité et le respect des valeurs culturelles ancestrales. Elle restera une référence dans la revendication de l’identité Amaziγ. Dans son œuvre l’équation identitaire reste un pivot immuable autour et à partir duquel se structurent toutes les autres problématiques. Il était à la fois poète, hauteur, compositeur et interprète de tous son répertoire, il était un acteur social important et incontournable et un militant infatigable de la démocratie, de la liberté, de la diversité et de l’union des Amaziγ. L’impact social de son œuvre est toujours retentissant surtout chez les jeunes Kabyles voir nord-africains malgré qu’ils ne l’ont jamais connu ni vu sur scène. Il est devenu un idéaltype référentiel dans l’imaginaire des militants Amaziγ voir des militants de la démocratie et des droit de l’homme. Il est devenu un modèle par lequel aujourd’hui, surtout les jeunes, mesurent la qualité de chaque action, de chaque projet, de chaque acteur intervenant dans le combat pour tamaziγt.
MATOUB était un rebelle, un révolté de façon total, l’exemple de son dernier album est édifiant. Il reprend l’hymne national à sa manière, malgré les dangers auxquels il s’exposait « Je sais que ça va me valoir des diatribes, voire un enfermement, mais je prends ce risque, après tout il faut avancer dans la démocratie et la liberté d’expression ». Sa philosophie et son état d’esprit était comme disait NIETZSCHE, il faut pousser les limites de la vérité au maximum pour avoir le minimum. Il était révolté contre le destin: « I-cḍas i rebbi leqlam, i-lhad di meγban, a mezwaru d nekkini ». Il était révolté contre les élites spirituelles et conjoncturellement politiques: « A-neddu d si leflani, d-dadda muḥ du-winat, imi γran nukni d-uli, uleyγer ne-slum tasweεt ». Il était révolté contre les ordres établis et les idéologies dominantes: « Taεravt d-awal a rebbi e-dges tamusni maci am tiḍ-niḍen ». Il était révolté contre l’histoire de l’Algérie et invite ses frères à le revisiter à travers les noms de lieux ou d’hommes reliés à des faits historiques: Akfadu, Gerger, l’Aurès, Bousaada, Skandaria, Palestine, Espagne, la Suisse, l’Allemagne, la France, Amirouche, Abane, Krim…et autres.
Aujourd’hui, Lounés MATOUB est célébré partout en Kabylie et de plus en en plus en dehors de la Kabylie voir en dehors de l’Algérie, en Lybie, au Maroc beaucoup plus chez les jeunes et ceci dénote de sa capacité à donner de la vitalité et du dynamisme à la revendication identitaire Amaziγ dans toutes les régions berbérophones de l’Afrique du nord. Son œuvre et les récits sur sa vie se transmettent de génération en génération et font de lui une légende et il y va de sois: Une légende ne meure jamais!
Youcef REZKINI