Sur la scène politique la confusion est totale. Est-ce une surprise ? Robert Ford, ancien ambassadeur des Etats Unis en Algérie où il a séjourné avant d’y être envoyé en poste, confiait ces derniers jours, selon les réseaux sociaux, qu’après avoir passé plusieurs années en Algérie, il en est reparti sans avoir compris grand chose à la vie politique de ce pays. Lui faisant écho, l’ambassadeur de France qui rendait récemment une visite de courtoisie à une personnalité algéroise fait mine de se désoler : « beaucoup de chancelleries nous en veulent de ne pas les éclairer sur ce qui se passe ici. On n’arrive pas à les convaincre que nous ne sommes pas plus informés qu’elles. »
Figures de style convenues du jargon diplomatique, ces professions de foi doivent être relativisées. Pour ce qui est des grandes choix possibles et même probables, les USA et la France sont bien plus avisés qu’ils ne veulent le dire. Il est cependant vrai que les recrutements comme les éjections se décidant hors des cadres institutionnels, la lecture en live des évolutions quotidiennes peut être problématique.
Il reste les signes qui ne trompent jamais, ou si peu : les déclarations dévoilant les postures des sédiments incrustés dans la géologie politique nationale.
Commençons par Gaid Salah qui a exigé et obtenu la tête de Hamel avant d’ouvrir l’amplitude de sa faux à toutes les têtes qui pourraient oser une velléité d’insubordination. Le vice-ministre de la défense qui vient de faire plier le cercle présidentiel est le pouvoir de fait du pays. Dans un tel rapport de force, il peut se permettre de se souvenir que « son excellence le président de la république est chef suprême des armées » et même d’amuser la galerie en murmurant qu’il ne fait pas de politique.
Ecoutons à ce propos le témoignage d’un colonel en retraite qui avait gravité autour de l’actuel chef d’état major.
« Lors de la présidentielle de 2004 déjà, alors qu’il était commandant en chef des forces terrestres, il exhibait devant tous ses invités des bouteilles d’eau minérale frappée à l’effigie de Bouteflika avant de leur faire ingurgiter rasades sur rasades du liquide béni. Dix jours avant l’élection, il avait donné des permissions spéciales à des milliers de soldats avec un pécule de 15000 dinars afin de faire campagne dans leurs douars pour le candidat « indépendant » Abdelaziz Bouteflika. » Notre interlocuteur concède une question qui, en fait, n’en est pas une.
« Le problème n’est pas de savoir si Gaid Salah fait ou va faire de la politique mais de connaître ceux dont il va s’entourer ou, éventuellement, celui qu’il va adouber et quels objectifs il va lui dessiner ».
On a effectivement vu plus réservé comme officier de haut rang soucieux de la neutralité de l’institution militaire.
Le constat de l’ex-colonel soulève une autre remarque. L’ANP a-t-elle encore la capacité morale, l’expertise et la cohésion nécessaires pour manager à son compte la succession de Bouteklika ? En d’autres termes, l’armée algérienne de 2018 est-elle comparable à celle de 1991 ? Poser la question c’est faire faire au pays un saut dans l’inconnu.
A des échelons inférieurs, des attitudes ou des silences sont également utiles à suivre.
Djamal Ould Abbas qui aura gagné depuis longtemps le prix Nobel de l’opportunisme comme Ouyahia s’est vu décerner à l’APN celui du mensonge, zigzague au point de donner le tournis à des militants conditionnés à dire oui. Mais cette fois il lui est interdit de désigner officiellement celui à qui il faut faire allégeance. Le responsable du FLN ne fait plus du cinquième mandat son leitmotiv. Mais il a bien entendu et appris la leçon : « l’armée ne fait pas de politique. » Et il l’entonne gaillardement.
Le cas Ouyahia, pour revenir à lui, mérite toujours d’être étudié. S’il n’est pas un acteur politique, obsédé qu’il est de savoir qui est le prochain parrain pour le servir avant tout le monde, il est un bon révélateur des négatifs qui peuplent les méandres du sérail. Premier ministre intermittent mais premier ministre quand même, il a perdu la parole. Pourtant, la seule limite qu’il avait mis à ses ambitions était de « ne pas se présenter contre « le moudjahid » Abdelaziz Bouteflika ». Or le « combattant suprême » semble hors course. S’il se tait c’est qu’un autre moudjahid est déjà en piste et lui a conseillé de s’effacer.
Plus bas encore, on retrouve les éternels margoulins, bouffons ou sicaires, dont les attitudes sont une bonne indication quant au pole probable sur lequel va se caler la girouette annonçant le futur candidat du système. Sans être les seuls, les Benyounes sont des modèles du genre. Avec le FFS comme le RCD ils ont su se placer ( ou on les a placés) dans l’opposition le temps d’une visibilité qu’ils ont mis à profit pour faire grassement fructifier leurs ralliements successifs à chaque basculement de régime. Et pour eux, cette fois encore le moment du repositionnement est arrivé. D’où l’urgence de prendre quelques distances avec celui qui était « un nabot » quand il fallait se vendre en contestataire avant d’être admiré comme l’homme « dont le cerveau (ravagé par un AVC qui a mobilisé les sommités de la médecine française) fonctionnait mieux que celui de tous les Algériens ». Un signe parmi d’autres dans la fièvre des reclassements clientélistes.
Si les ambassadeurs des USA et de France disent vrai quand ils décrivent la difficulté à lire la scène algérienne dans les institutions, cela ne veut pas dire que leurs services sont ignorants de la grammaire occulte algéroise. Eux aussi ont appris à lire dans notre marc de café.
En Algérie plus qu’ailleurs, le diable se niche dans les détails ? Et pour le plus grand malheur de ce pays, les diables sont toujours là. Toutes cornes dehors.
Younes Lakrib