« L’école algérienne est sinistrée ». La phrase est lâchée par feu Boudiaf alors président du haut comité de l’état(1992). Néanmoins, ce constat est fait bien avant et la sonnette d’alarme fut tirée à temps par les premières élites de la jeune nation algérienne .
La genèse du sinistre remonte à la première année de l’indépendance ; le 16 avril 1963 plus précisément ,date du premier anniversaire de la disparition de Jean El Mouhoub Amrouche. L’occasion a réuni l’essentiel de intelligentsia algérienne de l’époque dont la formation était francophone et l’idéologie progressiste. Boumediene, alors ministre de la défense de Benbella, y voyait une menace sérieuse sur le modèle politique que lui inspirait le duo Gamal Abdenasser-Fethi Dib, respectivement,président de la république arabe d’Égypte et patron du renseignement égyptien. La guerre du FFS et celle que certain qualifient de fomentée avec le voisin marocain lui donnèrent l’alibi de s’approprier exclusivement le pouvoir politique par un coup d’état perpétré le 19 juin 1965 qu’il appela redressement révolutionnaire où il déposa Benbella.
Pour bien asseoir son règne et couronner sa main- mise sur la société, Boumediene, à l’exemple de Nasser,s’en est allé chercher l’appui de la minorité arabo-islamiste confédérée sous la houlette de l’association « el qiem el Islamia » créée en 1963 par Abassi Madani et Hachemi Tidjani. Boumediene peaufinait sa stratégie de mise à l’écart des cadres modernistes et progressistes. C’est ainsi qu’il dénicha miraculeusement une date de décès coïncidant avec celle de la disparition de Jean Amrouche. Celle d’un « allama »,poète originaire de l’est et issu de la bourgeoisie constantinoise et aux antipodes du premier ; Abdelhamid ben Badis, puisque c’est de lui qu’il s’agissait, devint « savant »grâce à son poème « chaabou el djazairi mouslimoun oua ila el Ɛouroubati yentacib » et apparut comme le repère le plus indiqué pour l’entame du processus de désintégration planifié par le nouveau maître d’Alger. La miraculeuse trouvaille, telle la clé de sésame,ouvrit la porte à Boumediene et enferma l’Algérie. Un processus qui prit plus de dix ans de règne personnel et en dehors de toute institution (1965-1976) ; Le temps nécessaire pour le projet de constitution de 1976, la charte nationale et l’ordonnance du 16 avril portant sur l’orientation et les missions de l’école algérienne (organisation de l’éducation et de la formation) en sus de la proclamation de la date du 16 avril : journée du savoir en référence à la seule date du décès de Ben badis pour enterrer définitivement Jean Amrouche et la mouvance progressiste avec.
L’année 1976, donc, verra l’Algérie prisonnière de la folie du père spirituel de Bouteflika et l’école algérienne confiée aux lettrés des écoles coraniques, aux recalés de l’école post- indépendance mais aussi et surtout aux contingents d’enseignants orientaux aux profils douteux.
Voici quelques extraits de trois articles de l’ordonnance 76-35 du chapitre 1(principes fondamentaux) qui appellent lecture:
Art 2 :Le système éducatif a pour mission dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste
-le développement de la personnalité des enfants et des citoyens et leur préparation à la vie active,
-l’acquisition de connaissances générales scientifiques et technologiques,
-La réponse aux aspirations populaires de justices et de progrès,
-l’éveil des consciences à l’amour de la patrie.
Arêt 8 :L’enseignement est assuré en langue nationale à tous les niveaux de l’éducation et dans toutes ils disciplines.
Art 9 :l’enseignement d’une ou plusieurs langues étrangères est organisé dans des conditions définies par décret
L’article 2 renvoie aux choix idéologiques et aux missions assignées à l’école. les dernières (missions) apparaissent aujourd’hui d’une grande indigence, mais le contexte d’alors les aurait expliqué si les programmes, les méthodes pédagogiques et les moyens didactiques mis en œuvre étaient adéquats . (Cela fera l’objet d’une autre contribution). Les choix idéologiques, cependant, traduisent en réalité toute l’ambivalence du reis et trahissent à la fois ses intentions malicieuses car «les valeurs arabo-islamiques » et la « conscience socialiste » sont antinomiques et la référence à cette dernière n’était que stratégique et populisme. Par la conscience socialiste, Boumediene voulait renouveler son allégeance à l’ex URSS, réaffirmer son adhésion à l’idéologie ambiante à l’époque et diviser les progressistes. Conscient de la faiblesse numérique et de l’indigence intellectuelle des islamistes, en attendant le lit qu’il leur prépara, Boumediene fit le clin d’œil aux cadres du PAGS qui ne tardèrent pas à lui tendre les bras. Ceux-là qui se firent les zélés défenseurs de sa révolution agraire ne se rendirent compte du marché des dupes auquel ils soumissionnèrent qu’après la généralisation de l’école de Boumediene sous la bonne diligence de son successeur Chadli Ben djedid.
L’article 8 : L’arabisation immédiate ,populiste et précipitée de toutes les disciplines conjuguée au manque flagrant d’un encadrement qualifié a conduit aux recrutements au rabais et à une coopération technique (recrutement d’étrangers) coûteuse et de piètre qualité alors que simultanément des enseignants cadres expérimentés et aux compétences avérées étaient ou bien mis en retraite ou reversés dans des corps annexes telles administration, les cantines scolaires les coopératives ..etc.. ou carrément poussés à la démission . Les conséquences de cet article sur l école furent dramatiques !
Les élèves de l’école algérienne des années quatre vingt – quatre vingt dix sont devenus, à bien de rescapés prés et fort heureusement, une proie la bêtise humaine sous toutes ses formes et expressions.
Kamel Aidli , Enseignant.