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« Aimer Maria » de Nassira Belloula : Un roman « intimiste » et « violent »

 

Ce la faisait une dizaine d’années qu’elle n’avait pas été invitée au Sila, pratiquement depuis son émigration au Canada. Pourtant, durant tout ce temps, Nassira Belloula n’a pas cessé d’écrire, publiant plusieurs romans et essais, tant en Algérie qu’au Canada.

Cette année,  la récipiendaire, en 2016, du Prix international « Kateb Yacine » pour son roman « Terre de femmes », revient avec un nouveau titre : « Aimer Maria ». Un roman sublime dont on ne sort pas indemne.

Contrairement à ce que son titre pourrait suggérer, « Aimer Maria » ne raconte pas une histoire d’amour, au sens classique du terme. Oui, il y est question d’amour mais il y est surtout question de violence, de privations, de douleur et…de folie !

L’histoire est donc celle de Maria, une jeune adolescente rebelle de 16 ans, fille de la mer, amoureuse transie de son cousin, Ali. Tous deux s’aiment depuis l’enfance et rêvent de se marier un jour. Mais de mariage entre les deux tourtereaux, il n’y en aura point. En raison d’une vieille dette, le père de Maria donne la main de sa fille à un inconnu. Pour la jeune fille, le monde s’écroule. Celui qu’elle va désormais appeler « l’autre » va la priver de tout : « Dès les premiers jours de notre mariage, il me pousse à douter et perdre toute confiance en moi. Il déconstruit tout ce que je représente, me prive de parole, de désirs, de rêves, m’ôte toute perspective afin que je ne puisse voir qu’à travers ses yeux », écrit-elle en page 30. Pour la jeune épouse, la désillusion est totale. Tout la dégoûte chez son époux mais lui aussi ne l’aime pas « Il déteste tout de moi, tout ce que je suis, ce que je fais (…). Ainsi mon quotidien se ponctue de crises, d’insultes et de comportements sadiques (…) ». Alors, pendant leurs trente années de vie commune, il va user de tous les moyens pour la détruire et la réduire à néant.

Résignée, Maria courbe l’échine, fait le dos rond, accuse les coups pour ses enfants, surtout ses filles. « Ce qui sanglote en moi n’est que l’écho de ce qui me reste, cette infime émotion que mon autre s’obstine à garder comme une lumière même faible, que les brimades, les dénigrements, les blessures, les coups et les privations n’arrivent pas à éteindre. Parfois un petit sursaut de conscience, vite étouffé par un mot, un regard, un geste de l’autre. Il improvise toujours une riposte dès qu’il sent une tentative de rébellion chez moi. J’avoue que je manque de courage, alors je m’écrase et me rapetisse devant ce regard noir, dur, décidé que je ne pourrai jamais affronter(…). J’étais anéantie » (p.47).

Au fil du temps, elle devient l’ombre d’elle-même, un être sans âme qui se meut comme dans un vase clos. « Elle est tellement horrible cette impression d’être dans une salle d’attente, confinée dans une pièce où l’exil me tient compagnie. J’ignore ce que l’attente signifie, juste la sensation que le temps s’est arrêté pour moi, comme si le balancier de mon horloge temporelle s’est cassé pour me figer à jamais dans un corps de seize ans. J’espère pourtant qu’on viendra me chercher, me sortir de cet état, mais les années passent et je suis oubliée dans cette exclusion où je rejoins les ombres dans ces lieux dont les larmes et les chants se consument en silence ».

Elle finit par se créer un monde à elle, une sorte de bulle dans laquelle elle s’évade et où elle se maintient dans un semblant de vie, jusqu’au jour où se produit le déclic, en regardant une émission télévisée où un imam déclare que : « l’épouse pieuse, dévouée et croyante sera récompensée par Allah, qu’elle entrera au paradis et y retrouvera son mari pour l’éternité. Il a dit également qu’elle le partagera avec des femmes et des houris, chacune à son tour, sans jalousie, ni fâcherie » (p. 49)

Pour Maria, ç’en était trop. Elle qui avait placé tous ses espoirs dans, justement, cet au-delà dans lequel elle espérait un jour retrouver Ali, son amour de toujours, la voilà, semble-t-il condamnée à y retrouver pour l’éternité cet  « autre » qu’elle abhorre de tout son cœur.

Elle décide,dès lors, de partir, de tout laisser derrière elle : maison, enfants, mari pour retrouver sa vie d’avant ou, du moins, revenir dans la maison familiale, espérant y retrouver ce qu’elle a laissé il y a trente : sa candeur, sa joie de vivre, son amour de jeunesse.

Pour ses filles Nora, Lynda, Zora et Alia, c’est l’incompréhension totale car elles n’ont jamais deviné le mal-être que vivait leur mère. L’une d’elles, Alia, va tenter de comprendre.

Ce roman, donc, est construit autour d’un double « je » narratif. Maria et Alia prennent la parole, à tour de rôle pour dire toute la douleur portée par cette femme frêle, timide et effacée jusqu’au jour où elle décide de s’affranchir de cette vie de servitude et d’humiliation. « De retour chez-moi, je ne crains plus rien. Je n’appréhende ni le choc assourdissant du tonnerre, ni le ciel trop gris, trop bas. Le sale temps qui arrive n’est que le début de la saison froide. Le sale temps, n’est plus en moi, ce ne sont que les caprices de l’hiver. C’est ainsi que je le ressens et du coup, tout se remet en place » (P. 149).

Dans ce roman de 154 pages, l’auteure Nassira Belloula met sa plume au service d’un sujet qui lui tient à cœur : la condition des femmes enfermées dans le carcan d’une société traditionnelle algérienne et musulmane avec toute l’idéologie que celle-ci met en avant « pour accréditer la suprématie de l’homme sur la femme ».

Un roman à lire pour la force du sujet et pour la beauté de l’écriture.

Kahina A.

 

Nassira Belloula, « Aimer Maria », éd. Chihab, Alger 2018, pages 154, Prix : 750 DA.

 

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