Le discours de la grande muette intrigue. A quatre vingt ans, le chef d’Etat major s’adonne à une tournée des popotes qui le mène aux quatre coins du pays. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, Ahmed Gaid Salah ne s’arrête pas. Sitôt rentré de Tamanrasset, d’où il a prononcé un discours polémique qui a connu plusieurs variantes lors de sa diffusion, il organise une rencontre à l’académie interarmes de Cherchell avant de se rendre aujourd’hui à l’ENPI ( école nationale des études préparatoires aux études d’ingéniorat ) de Rouiba, annonce le ministère de la défense qui ajoute que ce sera l’occasion de s’adresser aux élèves officiers de l’armée.
Durant ces sorties présentées comme des missions de routine, le vice ministre de la défense tient un propos récurrent où on peine à deviner les questions d’intérêt militaire.
A chaque halte, le chef d’Etat major insiste sur le fait que l’armée doit veiller à la stabilité du pays menacée par des ennemis intérieurs et extérieurs ( allusion à peine voilée aux manifestants) jaloux de la stabilité nationale que l’ANP n’hésitera pas à contenir.
De là à ouvrir les voies à toutes les spéculations des observateurs en ces temps de chamboulement politique, il n’y a qu’un pas.
Certains évoquent la préparation des esprits pour engager l’armée dans les évènements historiques en cours en vue de défendre le clan présidentiel auquel est, du moins pour l’instant, affilié Gaid Salah. D’autres assurent que ces visites sont destinées à calmer ou prévenir des frondes qui pourraient se faire jour dans les casernes, après des positions de la hiérarchie militaire qui exposent l’institution à une intervention qui ferait d’autant moins l’unanimité que les événements d’octobre 1988 qui ont vu l’armée tirer sur la foule faisant des centaines de victimes parmi les jeunes, n‘ont pas laissé les meilleurs souvenirs dans ses rangs . Les plus audacieux n’hésitent pas à deviner une contestation de la personne du chef de l’état-major qui ne parvient pas à s’extraire de la dépendance au cercle présidentiel, lequel estime détenir des éléments suffisamment tangibles pour s’assurer le soutien irréversible du chef d’état major .
Rédigée, selon certaines indiscrétions, par l’ancien colonel du DRS Chafik Mesbah, la dernière sortie du général à la retraite Hocine Benhaddid, qui vient à peine de sortir de prison, étrille le chef d’état-major. La missive est interprétée par des cercles proches des sphères militaires comme la première salve d’un avertissement qui peut en appeler d’autres si Gaid Salah continue à lier son destin à celui de Bouteflika.
Younes Lakrib