Les trois examens de fin d’années (5éme, BEM et BAC) se sont déroulés respectivement les 29 mai, 09, 10 et 11 juin et du 16 au 20 juin 2019. Les chiffres fournis par le ministère de l’éducation nationale sont approximativement proches les uns des autres : ils sont de 760.652 élèves pour l’examen de fin de cycle primaire, de 631.395 pour celui du moyen de de 674 831 pour le sésame de l’université.
Encore une fois, brouilleurs et coupure de l’internet ont été simultanément utilisés au niveau des centres des examens, pour les premiers et sur tout le territoire national pour le second. Se prononçant sur le BAC dans le sud, A. Belaabed a déclaré « le taux d’absence dans la wilaya de Djanet (touchée par de terribles inondations) est le plus faible au niveau national. » Abandonnés à eux-mêmes, l’Etat ayant été absent, les habitants se sont pris en charge.
La refondation n’a pas encore eu lieu
Projeté d’être lancé en 2003, dans le sillage des différents chantiers de réformes, celle de l’école n’a pas encore eu lieu. De tergiversations en hésitations, de recul en reniement des engagements pris publiquement, les autorités ont préféré sauvegarder leurs privilèges plutôt que de protéger l’avenir de générations et du pays.
De nombreux observateurs ont relevé que les sujets des examens ne font plus appel à l’intelligence, la capacité et l’esprit d’analyse de l’élève mais à la mémoire et à la mécanique de la récitation. C’est, entre autres, cet état de fait qui favorise la triche et le copiage.
Cela est encouragé officiellement par l’importance qu’on donne aux matières littéraires aux dépens des matières scientifiques par le volume horaire et le coefficient. A titre d’exemple, les mathématiques et la physique ont un coefficient et un volume horaire moins important que l’arabe et la géographie dans les collèges. Faisant fi de cette réalité tout de même déplorable mais présente, on oriente les élèves vers les matières scientifiques au lycée. Cette mauvaise orientation est la cause de grèves, de protestations et d’arrêts de cours au niveau des établissements du secondaire.
En sus de cela, une autre pression vient s’ajouter au stress d’une situation d’évaluation : celle des parents d’élèves. Le fait de ne pas arrêter de parler de ces examens à la maison, dans la rue, avec les voisins, la famille met le candidat dans une situation intenable. Une autre raison pour les candidats de se stresser, est le fait, surtout pour les mamans, d’accompagner leurs enfants jusqu’aux portes du centre d’examen, de les attendre, ensuite de les raccompagner, et de les harceler sans cesse avec des questions sur les sujets.
La réforme ne se fait pas par la terminologie
A chaque fois que les autorités ont voulu lancer une réforme sans la faire accompagner d’un travail de fond, cela a été l’échec. L’œuvre de refondation de l’école algérienne doit avoir pour objectif général de « former le citoyen et non le militant » idéologique. Les objectifs principaux et/ou particuliers auront d’autres fonctions en matière de stabilisation psychologique, de modernité scientifique, de résolution de la crise identitaire pour l’Algérien de demain. L’enseignement des langues vivantes avec l’acquisition des trois savoirs : le savoir, le savoir-faire, le savoir être seront des impératifs de la réforme.
Changer l’année et/ou l’examen de 6éme en 5éme, le BEM en BEF puis revenir au BEM, appeler tantôt l’enseignant PEM, PEF puis re PEM, changer les noms des établissements de CEM en école fondamentale pour ensuite revenir au CEM, appeler les écoles primaires annexes des écoles fondamentales, passer de général au fondamental, tout cela n’a rien apporté à l’école algérienne, au contraire.
On a changé la terminologie et on croyait avoir réformé l’école et amélioré l’enseignement mais on a vite déchanté, il n’en était rien.
Entre une réformette et une autre, aucun bilan n’est fait et aucune conclusion, positive ou négative, n’est tirée. L’évaluation même graduelle et les rapports d’étapes font défaut et/ou sont absents du domaine public.
L’approche par compétences, préconisée dès le lancement des GSD (Groupes Spécialisés de Disciplines) en 2002, n’a pas été vraiment mise en application faute de formation adéquate des enseignements et de suivi pédagogique. « Nous n’avons pas des pédagogues, il y a aussi des démagogues qui ne veulent pas que l’école réussisse » nous a déclaré un responsable d’association de parents d’élèves. En d’autres termes, le système éducatif tel qu’il est organisé, structuré et son contenu dispensé actuellement a atteint ses limites.
Un simple exemple tiré des sujets du BAC de juin 2019 nous démontre que les forces obscurantistes, rétrogrades et conservatrices tiennent toujours le système éducatif en otage. On fait d’une langue, moyen de communication, quelque chose de sacré. Le sujet de la langue arabe donné hier sacralise cette langue et fait l’apologie d’un monde arabe chimérique, en pleine décomposition.
Une réforme où on n’a pas donné aux langues maternelles (i.e. les langues vivantes) leurs véritables places, le statut et la place qui permettront aux citoyens algériens de ne pas perdre leur âme, de conserver leur identité et d’aller vers la modernité, entrer dans le progrès et la tolérance est une supercherie. Avant d’aller vers les autres, il faut d’abord rester soi-même. « Ces langues et ces cultures sont les seuls remparts qui nous prémuniront de la phagocytose qu’introduiront inévitablement les autres vecteurs culturels dont nous serons bien obligés de nous accommoder » avait dit en 1985 devant la cour de sureté de l’Etat Said Sadi. Tout un programme.
Slimane Chabane