Un enseignant islamiste, en manque d’arguments intellectuels à opposer, dépose plainte contre l’islamologue Said Djabelkhir, connu pour ses remarques modernistes et réformistes sur les lectures rigoristes ayant pignon sur minbars des mosquées et qui semblent déconnectées des réalités et des défis du monde musulman d’aujourd’hui. Le drame est que le tribunal a accepté la plainte, signant ainsi la mutation d’une institution tenue de se conformer au Droit positif en chambre adoptant des procédures d’inquisition.
Les écrits et interventions du Théologien Said Djabelkhir sont, de l’avis des connaisseurs des questions religieuses, autant de réflexions qui s’inscrivent dans le cadre de la jurisprudence et l’assiduité intellectuelle ( Ijtihad ), permises à la fois par les lois positives de la République que par le Texte sacré.
Said Djabelkhir n’a aucunement attenté au texte sacré de l’Islam, ni tenté de remettre en cause la foi des Fidèles. Loin s’en faut.Toutes ses interventions se veulent une simple remise en cause des lectures rigoristes que les tenants de la chapelle musulmane traditionnelle veulent sacraliser et rendre immuables.
Le coup de pied du théologien Algérien dans la fourmilière de la pensée islamique dépassée, sclérosée et étouffante, s’inscrit dans le même esprit de quête de réformes qu’avaient initiées en leurs temps Ibn Rochd, Ahmad ibn Qâssim al‑Hajarî, El Kawakibi, Mohamed Arkoun et bien d’autres. Même si les approches et les méthodes de mise à débat pourraient être différentes, le souci de libérer la pensée islamique des carcans inhibiteurs reste le même.
Au Maroc, le penseur et militant Ahmed Assid ne produit pas moins de réflexions modernistes et d’invitations sérieuses à dépoussiérer la bibliothèque islamique et la renouveler avec des lectures plus modernes et plus collées aux réalités du monde musulman d’aujourd’hui. Mais chez nos voisins, où la situation des droits de l’homme n’est pas plus brillante, le makhzen qui a élevé le roi au rang de guide des musulmans, n’a pas osé l’horreur d’aller vers l’inquisition et stopper ces appels au Tajdid.
Ahmed Assid et son cercle de réflexion continuent de développer leurs idées dans la sérénité. Des enseignants universitaires marocains, inscrits pourtant dans le registre des islamistes, se limitent jusque-là à lui porter la contradiction sur les réseaux sociaux ou l’invitent à des confrontations intellectuelles dans les amphithéâtres. Les plus radicaux des islamistes assument leur violence et profèrent contre lui des menaces non voilées, mais jamais ils n’ont trouvé en le système judiciaire du royaume une chaire pour règlement de compte.
L’universitaire qui a osé inviter le tribunal à faire taire Said Djabelkhir a pourtant toutes les plateformes numériques à disposition pour lui apporter la contradiction intellectuelle. Il aurait pu l’inviter à débat direct dans l’un des amphis de son université. Aller en justice pour accuser un intellectuel de porter des idées contraires aux siennes est le pire des fascismes qu’un universitaire pourrait commettre. C’est même indigne d’un professeur d’université et un signe de désert intellectuel et de manque d’arguments chez l’auteur de la plainte.
Dans le cas présent, il est plus question de se solidariser avec Said Djabelkhir et dénoncer le tribunal qui a enregistré l’invite à l’inquisition que de pleurer la décadence de ceux qui l’ont déposé.
Arezki Lounis