Il ne suffit pas au pouvoir de claironner, pour calmer une rue en ébullition et contenir des dizaines d’années de revendication identitaire, que Tamazight est langue nationale officielle. Encore faut-il voir le sort qu’il réserve à son émancipation et aux moyens mis en œuvre en corrélation avec cette volonté « affichée » de corriger une injustice historique en accédant à une demande légitime d’une grande partie de la population. Au vu de la réalité des faits, force est de conclure qu’il ne s’agit encore que d’une manœuvre dilatoire pour repousser à une date ultérieure la décision de la prise en charge réelle du problème.
Les articles 3 et 4 de la nouvelle constitution suffisent à eux seuls à rendre compte de l’insoutenable perfidie du régime algérien dans son traitement de Tamazight. Après avoir érigé l’islam, auquel il accorde toutes les faveurs, en religion d’Etat dans l’article 2, il institue, dans l’article 3, l’Arabe comme « langue nationale et officielle » qu’il enveloppe d’un bouclier invulnérable, dans le deuxième alinéa du même article, par un tonitruant et péremptoire : « L’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat » ! Cela, en prévision de ce qui va suivre en article 4 où il est timidement énoncé que » Tamazight est également langue nationale et officielle. » L’adverbe « également » est là uniquement pour montrer le rang irréversiblement accessoire accordé à Tamazight par rapport à l’Arabe.
Le pire est que, après avoir créé une académie pour Tamazight, il la charge de travailler à sa promotion – dans ses diverses variétés linguistiques régionales ! – « en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle. » L’officialisation de Tamazight n’était donc qu’un projet qui reste à concrétiser ! Cette concrétisation doit, en outre, passer par la promulgation d’une loi organique ! Ce qui signifie que toutes les entraves, tous les facteurs bloquants et toutes les possibilités de développement de Tamazight sont constitutionnellement réduites à des considérations techniques subordonnées aux désiderata d’institutions telles que le parlement dans ses deux chambres et le conseil constitutionnel. La promulgation des lois étant faite par le président de la république, Tamazight voit s’étendre devant elle un parcours du combattant clôturé à la fin par un champ de mines !
Dans le texte fondamental, l’académie a pour but, non pas d’œuvrer à son unification, mais de promouvoir toutes les variétés linguistiques parlées sur le territoire national. Comme s’il s’agissait d’un institut des arts régionaux dont le rôle est de mettre en valeur les particularités locales. En d’autres termes, son rôle est de creuser davantage les différences et de morceler encore plus cette langue afin qu’aucune variante régionale ne puisse réellement accéder au rang de langue nationale et officielle ! Le rôle de cette institution est, à l’évidence, de lui servir de fossoyeur !
Pour ce qui est de son élévation au rang de langue nationale, nous connaissons la place qu’occupe le HCA, chargé de cette mission, parmi les institutions du pays. Organisme minoré en importance, aux moyens limités et au budget lilliputien, il ne peut faire face, même avec une réelle volonté de bien faire, aux obstacles, voire aux refus, de son enseignement à l’échelle nationale qui la réduisent à un état de curiosité anthropologique en dehors de la Kabylie. Une situation qui aggrave son isolement et renforce le sentiment de fracture qui prévaut dans le pays.
Mohand-Ouïdir Boumertit