Affaire du journaliste Rabah Karèche : des avocats dénoncent « l’influence du chef de l’Etat sur le dossier »
La chambre d’accusation près le tribunal de Tamanrasset devra examiner, mardi prochain, l’intriguant appel du procureur de la République contre l’arrêt de renvoi du juge d’instruction qui a envoyé le dossier de Rabah Karèche au jugement.
En détention depuis 69 jours, le journaliste risque de voir sa détention prolongée pour demande étonnante du parquet qui réclame un complément d’enquête, après près de trois mois d’instruction d’un dossier en lien avec l’exercice journalistique.
Cette demande intrigue, en tout cas, les avocats Zoubida Assoul et Saïd Zahi qui dénoncent, lors d’une conférence de presse animée, aujourd’hui à Alger, la violation de la constitution et l’influence du dossier par le chef de l’Etat qui avait traité le journaliste de « pyromane ».
« Les lois du pays, notamment la Constitution, interdisent, dans son article 54, l’emprisonnement des journalistes pour des délits de presse. Le même article consacre aussi la liberté de la presse. Mais, malheureusement, en Algérie, il y a un énorme fossé entre ce que dit la loi et les pratiques sur le terrain », lance Me Zoubida Assoul.
Soulignant que la liberté de la presse est une question fondamentale qu’il ne faut en aucun cas bafouer, l’avocate dénonce, au passage, « un subterfuge adopté pour requalifier l’affaire de Rabah Karèche pour ne pas appliquer les dispositions de la Constitution qui ne permet pas son emprisonnement».
«Le journaliste est poursuivi sur la base de l’article 79 du code pénal et des articles 95 et 95 bis de la loi contre le discours de haine. Or ces articles n’ont rien à voir avec cette affaire. Rabah Karèche n’a pas inventé l’information contenue dans son article. Il n’y a donc pas de diffusion de fausses informations », précise-t-elle.
Selon elle, « sans l’intervention du président de la République dans cette affaire, elle aurait pris une autre tournure ».
« Aujourd’hui, le procureur près le tribunal de Tamanrasset a fait appel de l’arrêt de renvoi du juge d’instruction au prétexte qu’il faut mener un complément d’enquête.
Enquêter sur quoi ?», interroge-t-elle.
De son côté, Me Saïd Zahi abonde dans le même sens, en rappelant aussi le cas du journaliste Khaled Drareni condamné à deux ans de prison « suite à l’intervention du chef de l’Etat et du ministre de la communication, Amar Belhimer qui ont influé, même indirectement, sur le dossier en raison de leurs déclarations ».
L’avocat affirme que Rabah Karèche « devrait être couronné au lieu de l’envoyer en prison ».
« Il est en prison parce qu’il a assumé, avec beaucoup de professionnalisme, sa mission d’informer. Il a attiré l’attention sur un sérieux problème engendré par le nouveau découpage administratif. C’est une réalité. Où est donc l’atteinte à l’unité nationale et le discours de haine ? C’est insensé !», déclare-t-il.
Et d’ajouter : Ce qu’a rapporté Rabah Karèche n’est qu’une partie infime de ce problème. C’est le pouvoir qui doit se remettre en cause, car il a promulgué des lois en urgence, sans les murir ».
Ce faisant, les deux avocats dénoncent une campagne acharnée contre les libertés, « comme le confirment les dernières poursuites enclenchées contre même de brillants universitaires ».
Intervenant par la même occasion, Fethi Ghares, coordinateur du MDS, dénonce « le système qui ne veut pas d’un journaliste comme Rabah Karèche ».
Pour rappel, l’appel du procureur de la République près le tribunal de Tamanrasset sera examiné, demain 29 juin. En cas de rejet, le tribunal devra programmer le procès du journaliste dans un délai d’un mois.
Massinissa Ikhlef