Le régime algérien donne de la relation qu’il a avec son peuple l’image du faucon s’attaquant à un essaim d’étourneaux. Tout comme lui, il n’arrête pas d’effectuer des raids pour cibler sa victime, lui fendre dessus et l’enlever. Heureusement que les coups du prédateur tombent, pour la plupart, dans le vide que la multitude crée pour les éviter tout en le refermant aussitôt derrière son passage pour reformer l’harmonie d’ensemble qui était la sienne. Subjugué par le nombre, il fonce sur sa proie mais ne rencontre que sa propre désillusion d’agresseur floué et trompé jusqu’au plus profond de ses certitudes par l’aspect inoffensif et docile de la masse vive et bruissante mais jamais résignée ni servile.
Que de fois n’avons nous pas assisté, dans le ciel irisé d’un crépuscule d’automne, à ces ballets majestueux de nuées d’oiseaux harcelés tantôt se scindant en îlots noirs et compacts, tantôt se creusant en claires trouées pour laisser passer l’intrus puis ondoyant de nouveau pour reconstituer, dans un scintillement de reflets argentés et une parfaite synchronie, la masse dense et soudée qui constitue la force et la supériorité de la proie sur le chasseur. C’est, malheureusement, beau et tragique à la fois. Beau, d’abord esthétiquement, la succession des formes qui se font et se défont dans le ciel moiré du soir donnant l’impression d’être l’œuvre d’une main d’artiste invisible qui exerce son talent en direct et avec les pigments du vivant, ensuite parce que le spectacle illustre la preuve, si besoin est, que l’union, y compris dans le monde animal, fait toujours la force et permet d’inverser des rapports d’un évident déséquilibre au départ. Le nombre se joue toujours du puissant aussi féroce soit-il. Tragique également, parce que l’animal faible ou isolé et qui ne jouit plus de la solidarité du nombre finit par succomber sous les coups et les griffes acérées de l’assaillant ! C’est l’étourneau esseulé qui fait la joie et le dîner de la crécerelle.
C’est la représentation qui s’impose à l’esprit lorsque l’on regarde de près la situation politique actuelle que traverse le pays. Face à la résilience de la contestation populaire, solidement étayée par l’échec patent des trois dernières consultations électorales et la persistance de la défiance à son encontre, le pouvoir s’affole, s’agite et perd toute mesure aussi bien dans l’action que la réaction ou le propos ! Alors il se tourne vers la seule chose qu’il sait faire, la seule compétence qu’on lui connait : la répression tout azimut et la force brute !
Chez ces gens-là, on a beau chasser le naturel, il revient aussitôt au galop ! En raison de l’échec de son formalisme légaliste, sa vraie nature ressurgit et avec, dans son sillage, son corollaire habituel d’arrestations arbitraires, d’accusations farfelues, d’emprisonnement abusifs, le tout teinté d’anarchie juridique qui voit des lois, bien que pensées et promulguées par ses appareils, s’appliquer sélectivement et ne viser que ses opposants en particulier ! Sa chasse aux libertés, dont l’ampleur et l’intensité n’ont jamais été atteintes par le passé pourtant si peu enviable, ne s’arrête pas à celles de manifester ou de s’exprimer. Elle va au-delà de tout ce qu’on peut imaginer et englobe dans sa traque la liberté de penser, les libertés académiques et même la solidarité et la simple intention puisque beaucoup de condamnations ont été prononcées en préjugeant de la simple intention du prévenu d’aller à une manifestation ! C’est dire que les appareils sécuritaire et judiciaire ont laissé tomber leurs missions constitutionnelles pour s’occuper de la préservation des intérêts étroits et exclusifs du régime !
En conséquence de quoi, c’est par centaines que les détenus d’opinion croupissent en ce moment même dans les geôles du régime et par dizaines que d’autres comparaissent devant les tribunaux dévoués d’une justice dévoyée qui accepte honteusement de jouer le triste rôle du bras séculier du pouvoir. Exit le droit et la justice, donc ! Harcèlement, convocations dans des commissariats et gendarmeries, enlèvements purs et simples constituent le lot quotidien des militants démocrates et la principale des rares activités du pouvoir. Devant un si vaste désert de droits et de sécurité créé par un Etat confisqué par des clans qui ne pensent qu’à se perpétuer et une si grande sécheresse de sentiments ou de clémence de la part de ceux chargés de les faire respecter, il ne reste aux détenus, injustement privés de liberté pour leurs opinions, que notre solidarité agissante et notre compassion envers eux et leurs familles pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls et que leur voix se fait toujours entendre au dehors au grand dam d’un pouvoir qui pensait les avoir réduits au silence !
Le pouvoir et la force sont éphémères tandis que les peuples et leur Histoire sont éternels. On ne peut jamais vaincre un peuple, même si on arrive à le dominer un temps. On ne peut non plus faire dire en permanence des mensonges à l’Histoire malgré les thuriféraires et les historiens organiques qui enjolivent le récit national voulu des maîtres du moment. Leur récit à eux, frelaté et surfait, souvent parce que leur Histoire n’est qu’une imposture qui ne résiste pas à la première lecture sérieuse. L’Histoire, la vraie, ne se décrète pas et ne sort pas, non plus, de la bouche des courtisans; elle est fatidique et inéluctablement dictée par des faits véridiques et vérifiables.
Autistes et obtus, les tenants actuels du pouvoir mènent le pays droit dans le mur. S’ils ne se rendent pas compte, la chose est grave parce que cela signifie qu’il n’y a aucun pilote dans l’avion ! S’ils se rendent compte, la chose est encore plus grave parce que cela signifie que le pilote est complètement fou !
En tout état de cause, de tous les dirigeants imposés, apparents et cachés, que l’Algérie a connu de 1962 à ce jour, les actuels sont les pires de tous ! Ils préfèrent sauver le système plutôt que le pays !
Mohand-Ouïdir Boumertit